Eric Guérin, d’une plume à l’autre

Portrait de Chefs
  • Eric Guérin, d’une plume à l’autre

A la fois acérée et tout en rondeur, la cuisine d’Eric Guérin n’en finit pas de conter fleurette à ses hôtes. Débarqué un peu par hasard en Brière, il est conquis par la région au point s’y installer et d’y ouvrir sa Maison quelques années plus tard. Cela fait aujourd’hui 23 ans que La Mare aux oiseaux vit au rythme des saisons ancrée au cœur d’un marais au caractère bien trempé et au gré des voyages de son heureux propriétaire. Récit d’une rencontre sereine placée sous le signe du partage.

Il n’y a aucun doute, Eric Guérin manie la plume avec dextérité. Si les plumes de ses bruyants locataires, devenus indissociables de ses assiettes, comme le canard à la sardine qui a fait sa notoriété, constituent son univers quotidien, c’est aussi d’une plume fort assurée qu’il écrit au quotidien l’histoire de sa Maison, l’histoire d’un terroir chéri qui le reconnecte à l’essentiel.

« Le canard à la sardine, c’est avant tout l’histoire d’un oiseau qui va se nourrir en bord de mer … »

S’il apprécie le marais pour la sérénité qui s’en dégage, il retient avant tout le caractère vivant de ces paysages authentiques et sauvages, parfois hostiles. A l’image de sa cuisine vagabonde et voyageuse, les canaux et leur faune changent de visages au fil des mois pour offrir des émotions brutes.

Pour qualifier sa Maison, on ne retiendra que l’intention première, en faire un véritable lieu de vie. Et le pari est réussi, c’est chaleureux, habité par une âme sincère avec, toujours, cet enracinement dans la nature.

On n’y trouve rien de superflu mais partout, de petites attentions, des souvenirs de voyage remplis de symboles. En fil conducteur, le partage, l’envie d’offrir à ses hôtes des instants privilégiés, une petite bulle de bonheur loin des bruits de la ville.

« La Mare aux oiseaux est le seul endroit où j’entends voler les hirondelles, cela n’a pas de prix ! »

Dans ce terroir propice aux belles rencontres, Eric Guérin est à la fois spectateur attendri et acteur attentif de l’écosystème. Il a ainsi installé ses propres ruches avec la complicité d’Alain Rey, apiculteur profondément attaché au  biotope de la Brière. De leurs discussions inspirées et de leur joyeuse complicité, naissent de nouvelles recettes uniques qui exaltent le vrai goût de la ruche. La production avoisine les 450 kg par an et Eric se plaît souvent à rêver en pensant aux millions de voyages qu’effectue une abeille pour fabriquer un kg de miel.

Côté table, les sensations sont les mêmes, générosité, chaleur, point de superflu ni de spectaculaire, simplement la substantifique moelle des mets et un service à l’image du Chef, à la fois carré, bienveillant et décontracté. Une atmosphère qui balance entre serre coloniale et salon feutré ambiance retour de voyage où les tons chauds accompagnent la pierre et le bois. Rien n’est laissé au hasard, depuis la vaisselle sur-mesure, en passant par les couteaux Morta dessinés par Eric qui, outre leur fonction première, se révèlent être de vrais compagnons de table.

Dans l’assiette, le reflet d’un homme qui a su garder sa pureté enfantine et qui s’inscrit en toute humilité comme l’un des auteurs culinaires les plus brillants de l’époque. En amuse-bouche, la mousse d’anguille fumée précède avec bonheur une salade de Saint-Jacques accompagnée d’une mayonnaise à la mandarine culottée ! Tandis qu’entre en scène un sublime tartare de pigeon sauvage (dont la nourriture est fabriquée par le chef afin d’en assurer la qualité !) adouci par le cassis et réveillé par le raifort. Même sans faute pour le Skrei et son asperge blanche agrémentés d’un vinaigre de fraise et d’une sauce à l’amande.

Quant à la transition entre le plat et le dessert (ou peut-être devrais-je dire entre l’enfance et l’âge adulte !), elle sonne comme un bouquet final avec son presque explosif et aujourd’hui célèbre Chocotruffe. Surprenant mais vite apprivoisé, il constitue une expérience gustative à lui tout seul. La douceur du chocolat blanc y compense la caractère bien trempé de la Fourme d’Ambert, à goûter de toute urgence !

Dans cette Maison blottie au cœur de l’île de Fedrun, ancrée dans son paysage taiseux et presque romanesque, la cuisine d’Eric Guérin est un hymne à la vie dont on admire les prises de risque.

Sur ses chemins de traverse, on l’écoute nous conter ses histoires de voyages et de liberté, toujours emplies de couleurs et d’émotions intenses. Autant de nourritures spirituelles que terrestres à savourer sans modération !